Comprendre et manager la fragilité au travail (Part.1/3)
Première des trois parties de notre article consacré à la fragilité, il s’agira ici de poser un cadre sur la fragilité : est-elle facile à aborder ? Doit on parler de fragilité ou de fragilités ? A quoi nous renvoie ce sentiment de fragilité ?…
Une question taboue aujourd’hui encore
En 2014 encore, la question de la fragilité reste taboue dans la vie sociale en générale, et plus encore dans le milieu professionnel. Parler de sa fragilité, c’est, encore trop souvent, prendre un risque. Or, précisément, lorsque l’on est en situation et/ou en ressenti de fragilité, prendre un risque est bien la dernière idée qui vient à l’esprit, et la dernière chose dont on se sente capable. Quel risque ? celui d’être exclu, regardé comme un phénomène, une curiosité ; voir pire, celui d’être rejeté en lisant dans le regard de son interlocuteur ce doute ultime : « puis-je encore te faire confiance ? puis-je encore compter sur toi ? ». Il y a enfin le risque a priori moins gênant, mais dont on comprendra qu’il est tout aussi blessant et bloquant : le sentiment d’inspirer de la pitié, une sorte d’empathie remplie de condescendance qui nous fait nous sentir comme un enfant immature, un grand malade.
Alors oui, osons l’affirmer, à l’époque où la mode est aux Risques PsychoSociaux, au management du bien-être, le marketing managérial fait encore des ravages : au-delà des discours de façade, la fragilité reste un tabou majeur dans les entreprises (en particulier) et dans la vie sociale également.
Quelle(s) fragilité(s) ?
De quoi parle-ton quand on emploie le terme de fragilité ? Il n’est pas une, mais DES fragilités.
Fragilité physique, perçue par exemple chez les « seniors », avec la question latente : « peut-on être aussi performant physiquement à 55 ans qu’à 25 ans ? »
Fragilité physique également au-delà de l’âge dans les métiers qui mettent, précisément le physique à rude épreuve dans des travaux de force ou des environnements qui sont agressifs pour les corps humains.
Fragilité physique également quel que soit l’âge pour tout ceux qui font des efforts au-delà de leurs capacités physiques, que ce soit dans l’exercice de leur métier que dans les temps de trajets pour se rendre, jour après jour sur le lieu de travail.
Fragilité psychique ou psychologique qui ne permet plus, un jour de burn out au petit matin ou en fin de journée, de faire face simplement à ce qui doit être fait. Quand l’esprit lâche, entrainant le corps avec lui dans une impuissance que l’on ne connaissait pas jusqu’alors.
Fragilité ou fragilités ? Finalement, que ce soit physiquement ou psychiquement, si la fragilité était la même ? Il suffit pour comprendre cette unité de fragilité de se remémorer cette sentence de Nietzsche : « l’esprit ? le corps qui pense ». En effet, à tous ceux qui séparent l’esprit (mental, psychisme, psychologie) du corps (physique), il est toujours intéressant de demander : « comment pensez-vous et vivez-vous sans votre corps ? »… Les purs esprits n’étant pas parmi nous, c’est toujours le corps qui cède… Ecoutez les personnes victimes de « burn out » (mot charmant pour ne verbaliser les choses explicitement : épuisement)
Ne pas dire les choses clairement
Nous parlons vulgairement de « burn out » ; expression « poétique » et anglaise. C’est tellement plus classe d’avoir fait un « burn out », car on en parle souvent après…
Même ici les mots restent tabous.
Burn out ? l’image réelle, c’est celle des motards, qui, lorsqu’ils ont des pneus usés vont faire tourner la moto sur elle même, plein gaz roue avant bloquée, roue arrière à fond. Le pneu chauffe… le pneu fume… le pneu explose d’usure et de chaleur intense !
Burn out ? traduit en français : s’éteindre, se griller (comme un toast), s’user, s’épuiser.
Ici même les mots sont durs à dire, à exprimer, à verbaliser. Car dire c’est prendre conscience, c’est communiquer ce que, parfois l’on ne comprend pas soi-même…
Fragilité et performance
La fragilité nous renvoie à une multitude de dimensions et de questions que nous esquissons la plupart du temps.
De ces dimensions, celle de notre rapport à la performance en est une, et pas des moindres !
Qu’est-ce que la performance ? C’est notre capacité, individuelle et/ou collective, d’atteindre un objectif.
Ce n’est donc pas tant l’objectif qui est problématique que son niveau. Objectif fort ou faible ? Face à cette question, les notions même de « fort » et de « faible » doivent être interrogées. Ce qui est un « objectif fort, élevé » pour une personne l’est-il aussi pour une autre ? pas forcément…
La fragilité nous renvoie individuellement et de manière frontale à notre capacité de faire face à un niveau d’intensité de nos objectifs. Serons-nous capable d’atteindre nos objectifs ? Si oui, à quelles conditions ? Ici le management pointe le bout de son nez : ai-je un manager qui sait définir les objectifs dont je suis capable, sait-il m’accompagner dans le développement de mes capacités, est-il là dans mes moments de doutes ?..
Mais la performance, dans cette interpellation n’est pas uniquement professionnelle… Ma fragilité c’est ma capacité à tenir les exigences auxquelles je me confronte. Certes, elles peuvent être professionnelles ; mais elles peuvent également être aussi personnelles. Le rapport à la performance me renvoie à ma capacité (ou mon incapacité) d’être à la hauteur de ce que j’attends de moi et de ce que les autres (personnels et professionnels) attendent de moi.
Le rapport à sa finitude
Finalement, la fragilité me renvoie à ce que nous voulons (quasiment) tous passer sous silence : notre propre finitude.
Etre humain, c’est être un être fini : dans mes capacités physiques, mes aptitudes, mes compétences, mes capacités intellectuelles, etc…
Même si l’époque est aux « super héros » et au culte du « no limit », la réalité de l’humanité c’est cette finitude qui fait également le sel de nos existences. Fini, je le suis dans ce que je peux faire : mon « pouvoir » et mon « vouloir » vont devoir se confronter à la « réalité ». « La réalité ? » comme l’a si bien écrit Philipp K Dick : « la réalité, c’est ce qui continue de résister quand j’ai cessé d’y croire ». On pourrait méditer longuement sur cette phrase aussi simple que profonde. Mais tout être humain est fini, au-delà de sa position et des ses « délires » personnels. Illustrons-le avec 2 présidents français bien connus dont le premier déclarait « j’irai chercher la croissance avec les dents ! » ( ??!!!??) et le second (toujours en exercice) décrétait au début de son mandat « avec moi, la courbe du chômage va s’inverser ». On peut être un enfant qui prend ses désirs pour des réalités… « La réalité, c’est ce qui continue de résister quand j’ai cessé d’y croire »…
Etant un être humain, je ne suis pas tout, je ne peux pas tout. C’est agaçant, frustrant, mais c’est notre humanité et également ce qui peut donner du sens à notre existence et à nos réalisations si l’on sait l’intégrer.
(à suivre…)
Sophie Girard & Jean-Olivier Allègre
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