Management, Consulting et philosophie
Ce billet reprend une question qui m’est régulièrement posée sur le rapport entre mon identité de philosophe, et le consulting en management.
Il fait également écho aux nombreux billets de fond qui sont édités sur notre blog, et qui, selon vos retours nous démarquent sans conteste des concurrents. Vous êtes nombreux à vous être inscrits à notre newsletter pour profiter « de bols d’air de réflexions » comme vous aimez à nous le dire si fréquemment.
Alors, Philosophie et Management?
Une histoire de profondeur
Il faut remonter à une personne qui a radicalement bouleversé mon existence: Gérard Crut, mon professeur de philosophie (un vrai philosophe devrais-je dire!) au Lycée Ste Marie de Lons le Saunier en 1987. Je peux ici parler de REVELATION… Je n’étais pas un grand fan de l’école, et j’avais atteint la terminale (B) grâce à l’acharnement salvateur de mes parents et des professeurs que j’avais usés jusqu’ici… L’air de rien, tout ce petit monde qui n’a jamais relâché ses exigences et sa confiance en mes capacités m’a permis de devenir qui je suis (je crois que l’on parle de dette d’existence dans ces cas là)… Mais une exigence qui contraint n’est pas ce qui donne un moteur intérieur. Monsieur Crut, dans sa pédagogie, les questions auxquelles il nous confrontait m’a permis de passer dans une autre dimension; celle où les études deviennent un plaisir et une nécessité intérieure. Monsieur Crut a su, par sa pédagogie interpellante, ses interrogations sur notre façon de vivre, ses mises en perspective de réflexions philosophiques me donner envie de PROFONDEUR. C’est lui qui m’a initié au fameux « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et ses dieux » de Socrate; autrement dit, de ne jamais dissocier sa VIE de sa PENSEE: « penser sa vie » pour ne pas rester au stade de l’animal et « vivre sa pensée » pour rester ancrer dans le monde réel et pas uniquement conceptuel.
Passer de la question au problème
Quiconque s’est essayé (ou a subi, c’est selon) la philosophie en terminale est passée par l’exercice ô combien révélateur de la dissertation. Oublions ici son côté normée pour se concentrer sur l’essentiel: passer d’une question à une problématique. Tout l’art de la philosophie est ici, dans une dimension et un exercice (au sens de la mise à l’épreuve) qui oblige à ne pas être dans l’à peu près, mais dans la réflexion et la précision.
C’est une réelle plus-value que de savoir comment problématiser des questions dans le Conseil et la Formation en management; en effet, la plupart du temps, les choses sont confuses pour les dirigeants et managers. Les questions se multiplient, mais où est la racine des problèmes? Voire même quels sont les problèmes? Ici tous les exercices de réflexions philosophiques sont d’un apport précieux sans pareil! Après avoir passé des années à se confronter aux questionnements philosophiques, les questions managériales se transforment, naturellement, en problèmes et deviennent éclairants.
Savoir lire entre et au-delà des lignes
La dissertation est un exercice… Savoir lire un texte philosophique en est un autre… Et ici c’est une nouvelle dimension qui s’est offerte à moi. La lecture d’un texte philosophique demande 2 vertus cardinales: LENTEUR et DECRYPTAGE. Dans un monde où tout va de plus en plus vite, où l’on demande à chacun de tout faire plus vite, encore plus vite, la lecture philosophique réclame lenteur et concentration pour accéder, au-delà de l’écume des vagues au sens profond. L’écoute active n’est qu’une petite plaisanterie devant la lecture et l’écoute d’un texte philosophique. Que me dit-il? Comment me le dit-il? Que met-il en avant? Que masque t-il? Que ne dit-il pas? Que suggère t-il?… Ne pas prendre le texte comme un donné, mais comme quelque chose qui se conquiert et se mérite… La philosophie classique Grecque, par exemple, demande du temps pour s’en imprégner, prendre en compte le contexte et la culture de l’époque, entrer dans la vie intérieure des philosophes, dans ce qui les rapproche et les éloigne…
Ici encore, quelle formation pour réaliser du Conseil et de la Formation en management que de savoir écouter les interlocuteurs dans toutes les dimensions de ce qu’ils expriment, afin de leur permettre de trouver des pistes d’action pour dépasser leurs limites, leurs difficultés et leurs problèmes.
Conceptualiser et être concret
Savoir réfléchir pour comprendre les problématiques et les personnes est une chose, mais rester dans le monde des Idées ou des Concepts nous rend certes intelligents des situations, mais ne nous éclaire pas beaucoup sur la dimension pragmatique: « et maintenant que j’ai bien compris… Je fais quoi? »
C’est ici une nouvelle fois que l’héritage de mes maîtres à philosopher est une ressource incroyable… En effet, que ce soient les philosophes avec lesquels j’ai pu échanger dans la vie réelle (Gérard Crut, Pierre Gire, Emmanuel Gabellieri, Michel Onfray et bien sûr Marcel Conche), mais également les philosophes qui ont marqué à jamais de leur sceau ma vie philosophique et réelle (Héraclite d’Ephèse, Diogène de Sinope, Protagoras, Edgar Morin, Karl Marx, Friedrich Nietzsche, Lao Tseu), tous avaient en commun ce souci de la vie concrète, autrement dit de ne pas rester dans le monde confortable du Concept, mais d’oser, de tenter, d’essayer, quoi qu’il en coûte, de mettre ses pensées à l’épreuve de l’existence. Cet impératif ne m’a jamais quitté et reste présent dans la double exigence qui guide toutes nos interventions aux côtés de nos clients: Donner l’intelligence de la situation ET poser des actes. Je sais qu’ici, mon chemin, ma pratique philosophique s’éloignent nettement de celles de mes amis philosophes qui trouvent que ma confrontation au réel est, au mieux une « erreur », voire une « hérésie » (un philosophe ne se mêle pas des choses du monde). Qu’importe, n’est-ce pas? L’essentiel est de tracer son chemin et d’apporter éclairage et soutien aux personnes qui nous font confiance et font appel à nos services.
Savoir formaliser et structurer sa pensée
Je pense que l’on commence, aujourd’hui à prendre, à nouveau conscience de l’importance de savoir poser et construire sa pensée. Les exemples de managers, de Comité de Direction perdus dans les difficultés de structurer et de clarifier leurs pensées sont nombreux. Quelle force que de posséder cette capacité (qui dépasse pour moi le simple stade de la compétence) moultes fois entraînée à structurer encore et encore, de manière cohérente et percutante ses pensées, de savoir les mettre en forme, les exprimer et les présenter d’une manière simple, synthétique, impactante et convaincante!
La philosophie, dans cet exercice perpétuel qui refuse l’à peu-près est une plus-value à nulle autre pareille dans cet exercice qu’est le Conseil en management. Cette capacité de poser les questions, de passer aux problématiques, puis de savoir organiser les éléments, argumenter, mettre en perspectives les pistes, les ouvertures, etc…
Curiosité, ouverture d’esprit et culture générale
La philosophie s’occupe de tout, se mêle de tout; elle a un côté profondément génial et touche à tout! En effet, elle pose un regard critique (au sens de juger, c’est-à-dire de poser une évaluation) sur tout ce qui entoure et qui est l’homme! Autrement dit, un philosophe borné est une hérésie totale…
Ici encore quelle plus-value dans la pratique du Conseil et de la Formation en management (autrement dit de la relation humaine) que de pouvoir disposer d’un panorama élargi de culture générale qui permet de faire des liens entre d’innombrables éléments qui apparaîtraient sans relation au profane. Mais surtout, la philosophie conduit, comme bon nombre de disciplines à une grande humilité devant l’océan de nos ignorances; ce qui n’empêche une soif de curiosité qui trouve de l’intérêt dans bon nombre de choses.
Improviser
Philosopher, c’est savoir, c’est aussi savoir et prendre conscience de tout ce que l’on ne sait pas. Cette prise de conscience de l’infinité du savoir et de notre infini mesure (je ne pourrais jamais tout savoir) peut conduire à un abandon (trop de choses à savoir et pas assez de temps pour y parvenir), ou au contraire, à une EXIGENCE (faire de son mieux pour progresser en savoir) et un IMPERATIF, celui de l’improvisation!
N’importe quel musicien qui s’est déjà essayé à l’improvisation sait combien de temps de travail préalable il faut pour être capable de réaliser une improvisation de qualité. Dans l’exercice du Conseil et de la Formation en management, le défi est assez semblable. En effet, même après 15 années de pratique du Conseil et de la Formation en management, il apparaît, au détour d’une séance de conseil (individuelle ou collective), d’une formation, un imprévu total! que faire alors? bafouiller?… Se retirer discrètement?… Planter la séance?.. Plus simplement, conserver son sang-froid, faire face et trouver une solution. La philosophie permet précisément ici de mobiliser toutes les dimensions dont nous avons parlé précédemment:
- Quel est le problème auquel le groupe fait face? et moi?
- Quels sont les éléments que je peux mobiliser (fond et structure) pour y faire face?
- Remettre les éléments dans le bon ordre, s’appuyer à la fois sur un savoir-faire dans la dimension de l’animation et du management de groupes, mobiliser mes ressources et celles du groupe, reformater un chemin, une méthode, et remettre le groupe en avant marche après marche…
Ce qui peut apparaître comme un looping aisé tel qu’il est écrit ici se révèle moins aisé en situation… Mais c’est aussi cela la philosophie, savoir composer avec ce qui se présente à nous sans vouloir que les choses soient différentes! Autrement dit ne pas se lamenter sur ce qui est (tel qu’il est) mais savoir jouer avec les éléments de l’existence quels qu’ils soient (« bons » ou « mauvais », « favorables » ou « défavorables ») pour progresser, c’est-à-dire surmonter les événements pour « devenir qui l’on est »!
Jean-Olivier ALLEGRE
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